Les origines du Tour de France
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Les origines du Tour de France
Au début du XXe siècle, les courses cyclistes connaissent un succès croissant. La mode est alors aux épreuves d’endurance extrême, dépassant souvent les 400 kilomètres, comme le Bordeaux-Paris ou le Paris-Brest-Paris, qui attirent un large public et stimulent la presse sportive.
Deux grands journaux s’opposent ainsi sur le terrain de la petite reine : Le Vélo, dirigé par Pierre Giffard, et L’Auto, fondé en 1900 par Henri Desgrange, ancien recordman de l’heure et fervent défenseur du sport. Pour battre son concurrent et accroître la diffusion de son journal, Desgrange cherche un coup d’éclat.
C’est alors qu’intervient Géo Lefèvre, jeune journaliste passionné de cyclisme. Lors d’un déjeuner avec Desgrange, le 19 novembre 1902, il propose une idée audacieuse : organiser une course par étapes autour de la France. Enthousiasmé, Desgrange accepte immédiatement. Le Tour de France est né.
Le 19 janvier 1903, L’Auto annonce la création de l’épreuve avec un titre ambitieux : « La plus grande épreuve cycliste de tous les temps. »
Henri Desgrange
Ancien clerc de notaire reconverti dans le journalisme, Henri Desgrange (1865–1940) est l’une des figures fondatrices du sport moderne en France. Passionné de cyclisme, il se distingue dès 1893 en devenant champion de France de tricycle, puis en établissant le premier record officiel de l’heure avec 35,325 km parcourus sur la piste du Vélodrome Buffalo, à Paris.
Visionnaire et fervent défenseur de l’effort physique, Desgrange devient directeur de la revue La Bicyclette, puis en 1900, il fonde le journal L’Auto-Vélo, futur L’Auto, avec l’objectif de concurrencer Le Vélo, journal sportif dominant mais jugé trop politisé. Sous sa direction, L’Auto devient un quotidien sportif influent, notamment grâce à la création du Tour de France en 1903, conçu avec son jeune collaborateur Géo Lefèvre pour promouvoir le journal et asseoir son autorité dans le monde du sport.
Mais Desgrange ne se limite pas à la presse. En 1902, il organise la course Paris-Marseille et poursuit son ambition de populariser le cyclisme en construisant une piste cyclable de 666 mètres au Parc des Princes, transformant le lieu en temple du sport. Il y supervise aussi de nombreuses compétitions.
L’année suivante, il inaugure le Vélodrome d’Hiver, surnommé « l’Auto-vélodrome d’Hiver », dont l’ouverture a lieu le 20 décembre 1903. Cette salle couverte, dédiée aux courses cyclistes, deviendra un haut lieu du sport parisien pendant plusieurs décennies.
Henri Desgrange était bien plus qu’un directeur de course : il était un apôtre de la souffrance sportive, persuadé que seule l’épreuve révèle les vrais champions. Il aura dirigé le Tour jusqu’en 1936, imposant sa vision rigoureuse et spectaculaire de la compétition. Même après son retrait, sa silhouette et son nom restent associés à la légende du Tour. Chaque année, le Souvenir Henri Desgrange est décerné au coureur franchissant en tête le point culminant de l’épreuve, un hommage à celui qui a transformé une idée de course en la plus grande aventure du cyclisme.
Géo Lefèvre
Géo Lefèvre (1877–1961) est un jeune journaliste sportif de talent lorsqu’il entre à L’Auto, le journal dirigé par Henri Desgrange. Spécialiste du cyclisme, il couvre régulièrement les grandes courses de l’époque comme Paris-Roubaix ou Bordeaux-Paris. Mais c’est au cours d’un déjeuner resté célèbre, le 19 novembre 1902, que son nom entre dans l’histoire.
Ce jour-là, alors que Desgrange cherche une idée forte pour doper les ventes du journal face à son concurrent Le Vélo, Lefèvre lance une proposition audacieuse : organiser une course cycliste par étapes, faisant le tour de la France. Une course longue, exigeante, presque insensée… mais aussi inédite. Henri Desgrange est séduit. L’idée prend forme.
Le 19 janvier 1903, L’Auto annonce à ses lecteurs la création de « la plus grande épreuve cycliste de tous les temps » : le Tour de France est né. Grâce à l’intuition visionnaire de Géo Lefèvre, une page capitale de l’histoire du sport vient de s’écrire.
S’il reste dans l’ombre de Desgrange, Lefèvre n’en demeure pas moins l’inventeur du concept du Tour. Il en suit la première édition comme journaliste embarqué, rendant compte chaque jour des efforts surhumains des coureurs, des nuits passées sur les routes, des paysages traversés et des exploits accomplis. Ses chroniques passionnées contribuent à bâtir le mythe dès la première édition.
Le Tour de France doit donc sa naissance non seulement à une stratégie éditoriale, mais surtout à l’imagination fertile d’un jeune reporter persuadé que le cyclisme avait encore un continent à conquérir : la légende.
Un succès populaire immédiat
Le premier Tour se déroule du 1er au 19 juillet 1903, en six étapes totalisant 2 428 kilomètres. Le départ est donné le 1er juillet à 15h16, devant le café « Le Réveil-Matin » à Montgeron, dans la banlieue sud-est de Paris, par le commissaire Georges Abran. 59 coureurs s’élancent alors vers Lyon, première étape longue de 467 km, sur des routes souvent non goudronnées. À l’issue de cette première édition, c’est le Français Maurice Garin, dit « le Petit Ramoneur », qui l’emporte, après avoir dominé la course avec quatre victoires d’étape.
Le succès populaire est immédiat. L’arrivée au Parc des Princes, devant des milliers de spectateurs en liesse, marque le début d’une légende. L’Auto voit ses ventes exploser : objectif atteint.
Le Tour évolue rapidement. En 1905, il grimpe pour la première fois une véritable montagne : le Ballon d’Alsace, dans les Vosges. L’expérience est concluante, et l’idée d’intégrer les massifs montagneux s’impose. Les reliefs deviennent désormais le cœur de l’épreuve.
C’est alors qu’un autre journaliste de L’Auto, Alphonse Steinès, suggère en 1910 une idée folle : envoyer les coureurs affronter les cols pyrénéens. Jusqu’ici, personne n’imaginait faire passer le peloton par ces routes de haute montagne, étroites, mal entretenues, parfois dangereuses. Mais Steinès insiste, au point d’aller reconnaître lui-même le col du Tourmalet, où il manque de mourir de froid dans la neige. À son retour, il écrit à Desgrange :
« Parfaitement praticable. Route très bonne. Passez l’étape. »
L’aventure pyrénéenne est lancée, et avec elle, le Tour entre dans une autre dimension.
Le succès du Tour de France ne tarde pas à inspirer d’autres pays. La Belgique organise son premier tour national en 1908, suivie par l’Italie et les Pays-Bas en 1909, l’Allemagne en 1911, le Portugal en 1927, la Suisse en 1933, puis l’Espagne et le Luxembourg en 1935. Le modèle français devient une référence internationale.